Je m’appelle Yasmina et j’ai 9 ans.
Je vis avec mes parents et mes 3 frères dans une cité de banlieue parisienne. Notre petit appartement perché au 27ème étage nous donne l’impression de vivre dans les nuages mais quand on se retrouve le soir tous les 4 dans notre chambre, la nuit étoilée n’apaise pas l’ambiance survoltée.
Mon père dit qu’on va devoir déménager car une fille qui grandit dans la même chambre que les garçons, ce n’est pas bon.
Je n’aime pas l’école, je n’y trouve pas ma place et on ne m’en fait pas.
Je ne suis pas bonne élève, c’est pas que je ne comprends pas mais je ne suis pas vraiment là…souvent perdue dans mes pensées, le plus souvent en mode guerrier au cas où on vienne me chercher.
Mes frères et mon père me disent toujours que la meilleure façon de se défendre c’est d’attaquer et qu’en toute circonstance, faut que je sois prête à riposter.
Un jour mon père m’a dit qu’il aurait préféré n’avoir que des garçons, peut-être pour la transmission du nom, sans doute aussi plus simple pour lui en ce qui concerne l’éducation…
Alors j’ai répondu comme j’ai pu à l’injonction, exit la petite fille, place au garçon manqué même si de temps en temps c’est un peu lourd à porter…mais on s’y fait !
A la récré je suis toujours seule, je n’ose pas me mêler aux autres et personne ne vient me chercher pour jouer. Je crois qu’ils ont un peu peur de moi.
Je n’arrive pas à communiquer.
Les filles se moquent et rient sous cape en me voyant et je les entends dire en chuchotant que je suis grosse et moche… Ça fait mal, c’est méchant.
Quant aux garçons, ils m'ignorent totalement.
Alors je reste dans mon coin, triste et isolée, et quand on s’approche trop près de moi, je crie, je hurle ma peine à travers mon agressivité.
Heureusement de temps en temps, ma mère, me dit que je suis jolie quand je souris…Mais c’est ma mère, c’est pas pareil.
J’aimerai faire autrement mais je n’y arrive pas, je me suis construite comme ça. Je me suis forgé une armure, pris du poids, j’ai fourbi les armes, donner de la voix et me suis petit à petit renfermée pour mettre le plus de distance entre le monde et moi.
Avec 3 grands frères, un père très sévère et une mère démissionnaire, je n’ai pas vraiment eu le choix.
Je ne me sens pas aimée et je ne m’aime pas non plus.
C’est comme ça, ça doit être mon karma.
Hier matin, parachutée en plein milieu d’année, Léa est arrivée.
La maitresse l’a présentée à la classe qui l'a immédiatement adoptée, complètement charmée.
Personne ne s’assied jamais à côté de moi alors la maitresse lui a dit de se mettre là.
En s'approchant elle m’a souri, m’a dit bonjour si gentiment que ça m’a fait tout chose dedans.
A la récré, sans hésiter, elle est restée à mes côtés.
On a parlé de nos parents, de l’école, de l’amitié…
Je ne l’écoutais pas tout le temps, trop bombardée d’émotions.
C’était bizarre, ça m’a fait drôle mais c’était bon.
Je suis rentrée à la maison,., j’ai rien dit, j’ai pas parlé, j’ai tout gardé en moi comme un trésor sacré.
Je me sentais bien, mes frères m'ont trouvé toute drôle, m’ont demandé ce que j’avais alors pour ne pas changer je me suis un peu énervée, j’avais pas envie de leur raconter, ça m’appartient, c’est mon jardin secret.
Je ne sais pas si vais pouvoir dormir, ça tournicote dans ma tête, j’ai peur que demain tout s’arrête et que Léa se détourne de moi.
Mais quelque chose me dit qu’entre nous deux c’est bien parti.
J’entends toujours les autres filles se dire qu’elles sont meilleures amies...
Et tout à coup je me surprends à espérer qu’avec Léa ce soit pour toute la vie …ou au moins jusqu’à ce qu’on ait assez grandi !
J’ai hâte d’être demain, c’est bien la première fois que la perspective d’aller à l’école me réjouit.
Tout a basculé en une journée, la vie vient de me prouver que rien n’est jamais figé pour l’éternité et qu’être acceptée comme je suis est permis.
Je file me coucher dans mon lit, rêver de Léa mon amie, mon habibi et peu importe aujourd'hui si comme chaque soir les garçons font du bruit.
Bonne nuit.
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