Dans le silence de l’atelier, les mains plongées dans la matière,
le cerveau, comme un cheval fou ivre de liberté, se plaît à galoper
en tous sens et son contraire.
Souvent mes amis s’invitent à la table : ceux à la présence régulière et tangible, ceux qui ont quitté le port , qui sait pourquoi et sans plus jamais refaire escale , ceux qui combattent héroïquement contre la maladie d’un proche ou la leur, ceux qui résistent, qui vieillissent, ceux qui projettent, qui s’enflamment, qui s’exclament…
Puis, sans crier gare, la voix de ma mère prend le relais : « Accompagnant le geste à la parole, Papa nous disait toujours que nous étions nés avec le mot chance écrit sur le front ».
Mes grands-parents ayant fui et survécu au génocide arménien, sans doute ceci explique cela allié à l’indéfectible amour de la vie chevillé au corps de mon grand-père !
La psychogénéalogie transgénérationnelle développée dans les années 70 par Anne Ancelin Schützenberger (dont je vous conseille entre autre la lecture d’« Aïe mes aïeux ») étudie les liens et les incidences entre le vécu de nos aïeux (évènements,traumatismes, secrets de famille…) et le nôtre.
L’amour de la vie et la « chance » seraient-ils transmissibles aussi?
Sans doute !
J’espère alors que mes enfants et petits enfants en hériteront eux aussi (je fais tout pour!) .
La « chance », en l’occurrence c’est d’être née ici, dans un pays libre de penser, de vivre et d’aimer comme on l’entend.
Sans compter qu’au-delà de ça, j’en ai conscience, j’ai été bien servie…
Gratitude (là, je pose mes outils fissa, croise les doigts et touche le bois de ma table...au cas où...on n’est jamais trop prudent!).
Ce qui, cela va de soi, fait rebondir ma pensée sur ce monde qui nous entoure : ces jeunes femmes iraniennes risquant leur vie, cheveux au vent, défiant avec courage un régime totalitaire, arbitraire, délétère….
Cette jeune fille de 12 ans sacrifiée sur l’autel de la folie d’une autre, cette guerre à nos portes dont l’issue reste incertaine, ces femmes et enfants qui vivent et meurent sous les bombes, ces jeunes hommes servant de chair à canon pour satisfaire la mégalomanie d’un seul….
Quelle violence, quelle folie !
Retranchée à l’’atelier... l’ abri est précieux et la création un doux refuge où l’on peut façonner le monde tel qu’on aimerait qu’il soit.
Et d’ailleurs, qu’en est-il des pièces qui se créent pendant ce temps suspendu?
Se chargent-elles de ces pensées désordonnées, de ces bombardements d’émotions parfois contradictoires ?
Sans aucun doute !
La tête transmet à la main qui fait et le cœur se charge du reste.
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