Pour certains, il n’y en a qu’un et pour d’autres…. Il y en a des lieux de vie dans une vie !
Socles de mon histoire, il y eut ceux de mon enfance puis ceux de ma vie d’adulte.
Si les maisons pouvaient parler…que de choses auraient-elles à raconter !
Certaines, bienveillantes, m’ont bercé, m’ont révélée à moi-même, m’ont émancipé.
D’autres m’ont confrontées, renfermant dans leurs murs, leur lot de chagrins, de déchirures, et même si ce n’est pas aussi clivant que ça, une chose est sûre, toutes ont été témoin, réceptacle.
Oui, les maisons ont une âme !
L’âme de celles et ceux qui y ont vécu, aimé, grandi, rit et pleuré…Cette trace invisible, cette empreinte indélébile imprégnant les lieux, brindilles et duvet qui s’amoncellent imperceptiblement au fil du temps pour constituer un nid sécure à l’abri du bruit et de la fureur du monde.
Je crois tenir de ma mère cet « amour » des lieux de vie. Sans jamais vraiment l’exprimer, j’ai toujours perçu cet attachement, sans aucun doute issu de son histoire familiale marqué par le génocide arménien et la fuite de mes grands-parents qui en a découlé. Un toit au-dessus de sa tête, un endroit à soi où vivre sereinement sans crainte d’en être délogé par qui que ce soit, ça n’a pas de prix ! Et par-delà les mots, elle m’a transmis ce même sentiment, profondément ancré en moi : nos maisons, objets inanimés, ont bel et bien une âme !
Vous souvenez-vous de la maison de votre enfance ?
Moi oui, parfaitement. Villers Agron …il suffit que je prononce ce nom pour que réafflue instantanément et très vivement, des émotions, des images, des odeurs…Un écrin protecteur, un nid sécurisant ….et ma petite enfance resurgit. 2 bonnes heures de route pour laisser Paris derrière nous et la campagne nous tendait ses bras verdoyants avec ses champs à perte de vue, ma tante Vincente toujours présente et mes parents enfin disponibles à mon éternel besoin d’être leur centre du monde !
Je pourrai la décrire précisément avec peut-être, sans doute, quelques entorses à la réalité mais globalement, je revois ses volets rouges, ouverts sur un petit jardin en arc de cercle parsemé de rosiers et où trônait majestueusement un saule pleureur sous lequel, à l’abri sous sa frondaison, j’aimais aller me réfugier et à qui je confiais mes secrets d’enfant.
Une grande cheminée occupait une bonne partie de la pièce à vivre et l’escalier menant à la chambre de mes parents, tapissée de toile de Jouy, ressemblait plus à une échelle peu rassurante qui me mettait au défi de dépasser ma peur.
En face de chez nous, une ferme pur jus où je passais une bonne partie de mes journées, assise dans l’herbe, ma main passée à travers le grillage avec un adorable corniaud qui se prêtait sans rechigner à mes caresses …j’aurai pu y passer toute la journée !
Spartiate et bucolique, Villers-Agron a été et reste mon 1er amour « immobilier » !
Parallèlement, il y eut l’appartement parisien, lieu de vie quotidien;
Le placard des toilettes où ma mère rangeait ses escarpins auxquels je ne pouvais pas résister.
Au risque d’une engueulade virulente, déjà rebelle, j’enfilai en catimini et avec jubilation ces pures merveilles à talons et me risquais dans l’entrée à quelques pas hésitants et la majeure partie du temps, plutôt dangereux….mes chevilles s’en souviennent encore !
Au coucher, de la porte entrouverte de ma chambre, j’apercevais mon père regardant la télévision dans le salon humant avec délice (aujourd’hui devenu totalement has been…les temps changent!) les quelques effluves de Peter Stuyvesant qui parvenaient jusqu’à moi.
Cela dit, globalement, il reste plutôt symbole de tristesse d’autant que le couple parental partait déjà en cacahouète jusqu’à la séparation effective et le départ définitif de mon père vers l’Italie…. ceci expliquant probablement cela car les lieux se chargent du meilleur mais gardent aussi en eux le pire !
A l’adolescence, exit Villers, bonjour Noisy à laquelle je n’ai jamais réussi à m’attacher.
Je m’y ennuyais comme un rat mort et ressentais l’étrange sentiment que cette maison était uniquement celle de ma mère, comme si, en parfaite symbiose toutes les deux il n’y restait plus assez de place pour moi.
C’était son lieu ressource et je sais ô combien elle l’a aimé.
Moi, je rechignais toujours à y aller m’y sentant comme une étrangère ou une touriste en villégiature !
Elle était pourtant fort jolie et avait beaucoup de charme mais, même pour les maisons, le charme ne fait pas tout !
Puis j’ai grandi et j’ai loué mon 1er petit appart, rien qu’à moi !
Trop occupée à vivre et à m’émanciper de l’enfance il ne m’a cependant pas laissé une trace indélébile !
Devenue épouse et mère est enfin arrivé le temps de construire mon/notre nid !
Et quel nid !
Un nid « royal » mais pesant, un coup de cœur de mon mari que je ne partageais pas vraiment du moins au début.
Une très belle maison (vraiment très belle !), chargée d’une histoire bicentenaire dont nous avons même retrouvé traces à travers de vieux cahiers d’écolier remplis de lignes de pleins et de déliés surannés.
Elle racontait un autre temps avec son office à l’ancienne que nous avons tenu à conserver, pressentant peut-être qu’elle nous en aurait voulu si on l’avait défiguré, son dernier étage réservé à l’époque aux « domestiques » où subsistaient encore un panneau qui devait accueillir des clochettes signalant que les maitres de maison réclamaient leur attention !
Un autre temps, si éloigné de nous et à la fois si proche dans ses murs.
Même si je l’ai profondément aimé et qu’elle a été le lieu où j’ai vécu ma maternité à plein temps avec tellement de bonheur (mon fils était tout petit quand nous y sommes arrivés et ma fille y est née !), celui où je me suis révélée à moi-même en tant qu’artiste (c’est dans ses murs que j’ai validé mon chemin professionnel), elle a été à la fois une merveilleuse alliée, un témoin bienveillant, un écrin protecteur mais est aussi toujours restée…
Trop belle pour moi, comme on dit !
Son image ne reflétait pas la mienne. Les maisons aussi peuvent être lourdes à porter.
Ensuite nous avons à nouveau déménagé et ce nouveau lieu a lui aussi été très chargé.
Ma tante et ma mère nous y ont quitté, notre mariage s’est délité….
et il a fallu à nouveau reconstruire le nid, mon nid.
Une annonce immobilière dont un 1er rendez-vous a capoté, le temps a passé, puis voilà qu’elle resurgit sur le marché…
Une charpente et une surface, tout à faire et à créer …un coup de foudre immédiat à ce jour jamais démenti…elle était faite pour moi.
Pour la première fois, entièrement libre de mes choix, j’ai vraiment donné libre cours à mes envies, à mes lubies, sans contraintes, sans dictats.
Colorée, chargée (c’est le moins qu’on puisse dire !) sage et folle à la fois, elle me ressemble et me raconte.
Presque 20 ans sans lassitude avec toujours le même sentiment …
Je l’adore !
Parallèlement, il y eu La Mado.
Un charme indéniable mais au prix d’une longue journée de voiture et d’un chemin de servitude qui se révélera déterminant.
Maison de vacances, veilles pierres et volées d’escaliers, soleil et cigales, réunions de famille et tablées bien arrosées…la rivière à proximité, le Gard et son authenticité.
Les enfants, les amis y ont laissé leurs traces tant sur l’oreiller que dans les murs.
Un havre de joie, de partage, d’amour et d’amitié jusqu’à ce qu’un voisin pervers et toxique pourrisse littéralement le lieu et le condamne année après année à un désamour irrémédiable.
Alors, il a fallu faire le choix, il a fallu faire le deuil.
Douloureux mais salutaire.
Parfois, les histoires d’amour finissent mal !
Adieu le Gard, bonjour la Normandie.
Nouveau départ, nouvel environnement, la nidification est en cours!
Des champs, des tracteurs, des chevaux, des vaches, la cloche de l’église qui marque le temps qui passe, le calme et le silence d’un tout petit village et la nature tout autour qui calme et apaise les esprits et les corps…à la source de l’essentiel.
Même si celle-ci (la der pour le coup !) n’est pas la maison de mes rêves, elle coche cependant les critères du cahier des charges : se rassembler, entourée de ceux que j’aime, partager et se construire des souvenirs communs.
En attendant, les rouleaux, les pinceaux, les tournevis et autres joyeusetés du même acabit sont à l’œuvre ….construire le nid, brindilles après brindilles puis saupoudrer de rires, de joies et d’amour pour qu’à son tour elle constitue une réserve de traces, une boite à trésors de la vie qui passe.
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