Au rayon lecture, j’adore les polars que je dévore toujours avec gourmandise.
J’ai mes chouchous, mes incontournables que je suis à chaque parution. Certains depuis tant d’années que je ne peux plus les compter, lassée par d’autres que j’ai abandonné tout en restant à l’affût de nouveaux auteurs qui me sont inconnus.
Alléchée par le titre et assurée d’une certaine « qualité » par un prix Michel Bussi (que j’ai adoré au début mais…), je me suis jetée sur « Le tricycle rouge » de Vi ncent Hauuy.
Mise à part que l’histoire, alambiquée, ne m’a pas emporté comme je l’avais espéré, ce qui m’a le plus frappé ce sont ses têtes de chapitres...pas moins limpides !
Certains sont des expressions divisant 2 chapitres (dans la gueule...du loup - l’arroseur...arrosé…), d’autres des termes connus mais peu usités dans le langage courant (soit parce qu’ils sont très spécifiques à une discipline, soit purement littéraires) mais la majeure partie d’entre eux sont des mots ou expressions m’étant totalement inconnus !
Étant une fille curieuse j’ai donc dû, pour chaque chapitre ou presque, rechercher la définition du mot en question (merci la liseuse qui facilite grandement la tâche!).
La dernière fois que j’ai procédé de la sorte (lire avec un dico sous le coude) remonte au merveilleux « Nom de la Rose » d’Umberto Ecco dont j’essayais (naïve que j’étais à l’époque!) de décrypter les insertions latines !
Chouette, un nouveau jeu d’écriture en perspective !
Pour tout vous dire, celui-ci m'a fait transpirer et mes neurones ont bien mouliné...mais il paraît que c’est bon pour la santé !!!
Brave fille que je suis, vous aurez droit au lexique pour enrichir votre vocabulaire mais tout d’abord avant le réconfort...l’effort !
Ab ovo, je me suis dit que ses têtes de chapitres étaient à tout le moins originales et que cet auteur semblait être industrieux.
Après tout, sans passer pour un olibrius, j’étais libre de poursuivre ou pas ma lecture sans craindre une quelconque coercition.
Je m’installais donc confortablement dans mes draps diaprés.
Malgré la fenêtre entrouverte, les volutes d’encens rendait la chambre caligineusequand un Monarch surgi des halliers du jardin vint soudain se poser sur ma lampe de chevet.
Que faisait donc ce Monarque - espèce vivant principalement aux États-Unis- dans ma chambre ?
Étrange et alogique, cela me laissait à quia !
Était-ce vraiment un Monarch ou juste un papillon orange comme il y en a tant ?
L’entomologie n’étant pas mon point fort, j’étais zététique à ce sujet et me promis d’entreprendre une analyse systémique dès le lendemain.
Les première pages étaient alliciantes, je dois l’avouer et ce tricycle rouge me renvoyait à un vague souvenir d’enfance…Qui sait, ce livre controuvé par l’auteur pourrait-il s’avérer cathartique pour moi?
Plongée dans ma lecture j’entendis alors les vitupérations du voisin .
De sa fenêtre grande ouverte comme à l’accoutumée malgré l’heure avancée, cet agelaste hurlait comme un Amok sur sa femme et son hubris ne présageait rien de bon.
L’ayant croisé à plusieurs reprises dans l’escalier, cet homme chenu au visage chafoin me glaçait le sang et faisait naître en moi un sentiment d’éxécration qui me rendait turbide.
Mais les règles de bon voisinage étant ce qu’elles sont, veule, je ne manquai jamais de le saluer en le croisant dans l’escalier pensant que faire Gambit avec ce genre d’individu était sage et cauteleux.
Les cris s’intensifiaient laissant cette pauvre femme cacochyme en pleine déréliction.
Son obduration était-elle signe de vésanie ?
Sans aucun doute, d’une minute à l’autre elle ne pourrait échapper à ses horions.
La boule au ventre, le cœur battant la chamade, une dichotomie abyssale entre peur et devoir d’assistance m’étreignait.
S’en était assez, il fallait agir !
Cette femme cachectique réduite à un ilotisme sauvage avait subi assez d’avanie.
J’enfilai pull et pantalon et me précipitant dans l’escalier, j’y croisai deux autres voisins que la scène de ménage nocturne avait aussi délogé du lit.
En arrivant sur le pallier, nous fûmes assaillis par des remugles et une fumée épaisse et lourde s’échappait de sous la porte.
Nous ayant entendu arriver, l’homme à l’air hagard nous ouvrit tenant à la main un brandon qui nous laissâmes pantois.
Surtout ne pas l’agresser, le manipuler doucement pour ne pas attiser sa folle colère.
Derrière lui, en retrait, son épouse, les yeux rougis par la peur et les larmes avait les bras bleuis par ses empoignades musclées mais un léger sourire de gratitude se dessinait sur son visage.
L’ apaiser ne fut pas mince affaire.
Le silence de la nuit reprenait enfin ses droits.
De retour dans mon lit, recrue, une faim compensatoire m’étreignit mais la lulibérine faisant son office, je m’endormis immédiatement abandonnant le « tricycle rouge » sur la table de nuit.
Le surlendemain, je croisais Madame dans l’escalier.
Ses larmes avaient séchées mais la peau squalide de ses bras tuméfiés nécessiterait sans aucun doute l’application d’un baume vulnéraire pendant quelques jours.
Nous nous saluâmes comme si de rien n’était partageant un sourire sincère et discret.
A ce jour, aucune nouvelle dispute n’a retenti dans la copropriété et ma lecture du « tricycle rouge » est achevée.
Le lexique :
Ab Ovo : Dès le principe, dès l'origine, depuis le commencement.
A Quia : ne savoir que répondre ; ne savoir que dire ; rester coi
Agélaste : Personne qui ne rit jamais, c'est-à-dire qu'elle est incapable de se montrer joyeuse. Un agélaste ne réagit ni aux plaisanteries, ni aux blagues ou aux jeux.
Alliciant : qui attire et séduit
Alogique : opposé aux lois de la logique
Amok : Forme de folie homicide observée chez les Malais ; individu qui en est atteint
Avanie : humiliation
Brandons : Torche grossière, tortillon de paille, de papier, servant à mettre le feu ou à s'éclairer. Débris enflammé de matière quelconque
Cachectique : atteint de cachexie-> État d'affaiblissement et d'amaigrissement extrêmes, lors d'une dénutrition ou de la phase terminale de certaines maladies.
Cacochyme : en mauvaise santé, faible, qui a une constitution débile
Caligineux : obscur, peu clair
Catharsis : méthode de traitement fondée sur la décharge émotionnelle résultant du sentiment de revivre des évènement traumatiques
Cauteleux : qui fait preuve de rouerie, de méfiance
Chafouin : Rusé, adroit et sournois
Chenu : blanchi par l’âge
Coercition : Fait de pouvoir contraindre
Controuvé : Littéraire. Imaginé, inventé de toutes pièces
Déréliction : Littéraire. Sentiment d'abandon et de solitude morale.
DiapréLittéraire. Ayant des couleurs vives et chatoyantes.
Dichotomies : Division de quelque chose en deux éléments que l'on oppose nettement
Exécration : Littéraire. Sentiment d'horreur, de répulsion extrême
Gambit : Aux échecs, coup qui consiste, en début de partie, à sacrifier une pièce pour gagner un avantage en position. (Il s'agit le plus souvent du sacrifice du pion du roi ou de la reine.)
Halliers : Groupe de buissons serrés et touffus.
Horions :Littéraire. Coup violent donné à quelqu'un.
Hubris : (mot anglais) démesure, excès dans les comportements
Ilotisme :Littéraire. État d'ilote, de personne asservie, auquel sont réduits les éléments opprimés d'une société. Condition d'une personne en état de dépendance vis à vis d'une autre personne.
Industrieux : qui a de la dextérité dans son métier, adroit
Lulibérine : Hormone « coupe faim »
Monarch (anglais): papillon
Obduration : insistance, persévérance dans le mal
Olibrius : Personne ridicule et stupide
Recru : épuisé, harassé
Remugles : Odeur particulière que contractent les objets longtemps renfermés ou exposés à un mauvais air.
Squalide : Ayant la peau rugueuse
Systémique : Relatif à un système dans son ensemble
Turbide : Troublé, agité
Vésanie : Littéraire. Dérèglement d'esprit ; folie.
Veule : faible, mou, qui subit tout sans réagir
Vitupérations : Injures, récriminations à l'adresse de quelqu'un ou de quelque chose (surtout pluriel).
Volutes : Forme enroulée en spirale, en hélice.
Vulnéraire : Qui est propre à la guérison des plaies ou des blessures
Zététique : sceptique mais recherchant une explication rationnelle