Une de mes chères amies avec laquelle je partage, entre autre, le gout des mots m’a soumis l’idée d’une consigne d’écriture à partager sur le sujet de la colère.
Elle me disait que ses colères visaient l’espace « publique », ce à quoi je lui rétorquai que les miennes étaient quasi exclusivement tournées vers la sphère privée, colères qui sont pour moi les plus virulentes, les plus impactantes et souvent les plus douloureuses.
Je placerai celle-ci à cheval entre les 2 !
Ma petite dernière a été déclenchée par une récente séance chez le dentiste ou plus exactement, chez l’implantologue ! Là, on est au cran du dessus, un cran beaucoup plus chic pour les chicots !
Ceci expliquant donc cela, voilà le pourquoi du comment et prenons place dans le fauteuil !
Mais avant, flash-back !
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai été assise sur un fauteuil de dentiste !
Petite, c’était le jeudi matin (le mercredi de l’époque …et oui ma brave dame, ça ne date pas d’hier !). Et pas une semaine de temps en temps, hein, plutôt tous les jeudis matins que dieu faisait (si c’est lui qui s’occupe des jeudis !).
Appareil dentaire diurne avec son fil de métal qui barre mes dents comme pour souligner l’erreur de cette mâchoire trop avancée pour, quoiqu’il en coute, la faire reculer.
Appareil dentaire nocturne avec son large élastique noir enchâssant ma petite tête relié à 2 crochets métalliques prolongeant l’appareil susnommé…mi aviateur mi extraterrestre … « Torture » et humiliation garanties, image de soi écornée, petite fille désespérée.
Mais l’autorité maternelle affirme que c’est pour mon bien , alors…
Et après le dentiste, pour couronner la journée (c’est le cas de le dire !) c’était systématiquement foie de veau purée ! J’ai longtemps gardé une dent contre les jeudis matins !
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai eu des colères…certaines à propos de rien, certaines justifiées par tout, des colères saines, salvatrices, constructives mais aussi des colères mal adressées , des colères décharges au risque de tout balancer au mauvais endroit, au mauvais moment…Bref, des bonnes et des mauvaises colères en somme !
© « Les cahiers de Joséphine :
les monstres en colère »
Plantons maintenant le décor de la dernière en date :
Quartier parisien très chic, immeuble Haussmannien très classe, appartement d’une superficie presque indécente, d’un blanc éclatant comme s’il avait été peint hier, rosaces et moulures alambiquées au plafond, vitraux au plomb à motif floral colorés faisant office de séparateurs.
En salle d’attente, 2 canapés XXL en cuir blanc immaculé accueillent nos fesses un peu serrées par le stress mais histoire de nous faire passer le temps sereinement Vogue et autres magazines de la presse raffinée jonchent une table basse en verre dépoli, le tout baigné par une musique d’ambiance feutrée et classique cela va sans dire ! Au mur, pour s’encanailler un peu, une très grande toile de Jérôme Mesnager associé à une vielle plaque de rue nous rappelle que nous ne sommes pas sur un plateau de cinéma, que la vraie vie, celle de la rue j’entends, est bien là !
Parlons maintenant de ceux qui peuplent le lieu.
Tous, sans exception sont eux aussi en blanc. Un blanc médical bien sûr mais aussi un blanc presque virginal !
La secrétaire à l’accueil ressemble à une figurine de mode et s’exprime dans un Français littéraire à faire pâlir un énarque, assistantes et médecins (ils sont plusieurs à partager le cabinet) sont tous irréprochables de bienséance et de bonne éducation mais totalement dépourvus d’empathie, de chaleur et de sincérité.
Des Mâdaaame par ci, Mâdaaame par-là, très ampoulés et très froids ponctuent toutes leurs phrases et donne à leur parole un goût robotisé. L’humain désincarné de toute substance émotionnelle.
Vous me direz qu’ils ne sont pas là pour ça.
Certes mais la chaleur humaine et le sentiment d’être visible en tant que personne est à mon sens, essentiel dans la relation soignant /patient.
A l’arrivée, derrière la porte massive de l’entrée ladite secrétaire, sans un sourire, un bonjour à peine susurré, m’envoie direct en salle d’attente en attendant d’être appelée.
Quelques minute plus tard, une assistante vient me chercher…je suis déjà rentrée donc… pas de bonjour énoncé !!!
Juste un « Mâdaaaame , veuillez me suivre s’il vous plait ». Ce à quoi, un peu énervée, je lui renvoie un « bonjour » bien trempé qu’elle ne peut manquer de remarquer !
Et me voilà installée dans le fauteuil, blanc bien sûr, du maitre de céans.
Le voici qui, après quelques minutes d’attente, arrive, triomphant comme un acteur entrant en scène, petit sourire aux lèvres un poil arrogant, sans un bonjour bien sûr pour respecter la politique de la maison !
Un échange des plus sommaires, il sait ce qu’il a à faire et en ce qui me concerne, je comprends bien que le mieux c’est que j’ouvre la bouche et que je me taise !
Il farfouille, il opère me demandant d’ouvrir plus grand que grand même si déjà j’ai l’impression que mes lèvres sont étirées jusqu’à mes oreilles… et pendant ce temps, Monsieur discute avec son assistante d’un problème de porte, de codes, de clés…me laissant totalement isolée, oubliée avec le sentiment amer d’être entièrement à sa merci, juste une bouche et des dents avec personne dedans !
Après en avoir fini, il me renvoie, toujours un peu grandiloquent, vers la secrétaire pour régler mon dû me « promettant » qu’après être passée à la caisse, il viendrait me saluer comme tout bon comédien à l’issue de sa prestation.
Et que croyez-vous qu’il se passa ?
Rien, personne, le silence et l’absence… je ne l’ai plus revu ni même entendu !
Je suis repartie comme je suis venue, sans un bonjour ni un au-revoir,…un numéro, une bouche, un porte-monnaie, rien de plus.
Ne vous méprenez pas, il ne s’agit aucunement de « lutte de classe » ou de vindicte populaire mais d’une saine et digne colère humaine face à une relation déshumanisée, désincarnée, désolidarisée.
Voilà le genre de colère inextinguible, inaltérable, impardonnable qui peut m’envahir et ne jamais refluer.
Une colère personnelle et socialement engagée, revendiquée, justifiée!
Et puis il y a les autres, plus intimes, avec les plus proches et parce qu’il y a plus d’affects, plus volatiles !
Mais ceci est une autre histoire…
En attendant, il est plus que probable que je garderai plus d’une dent, ou d’implants, contre lui …et même si, hélas, je vais devoir le revoir et qu’il est plus que probable que le même rejet prédomine cela aura un temps…
jusqu’à ce qu’il tombe complètement dans l’oubli !
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