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     Graines d'histoires

Photo du rédacteurMarie Wermuth

La séance: Edouard


Aujourd’hui, un nouveau est arrivé…

Relation de cause à effet, le groupe semble plus calme qu’à l’accoutumée.

Regards circonspects, murmures et petits apartés bruissent dans l’escalier…

le changement n’est pas trop notre tasse de thé, ça nous déstabilise, ça nous fait un peu flipper.


Pour rejoindre notre salle attitrée, le Docteur Jorge ferme toujours la marche histoire de vérifier que l’un de nous ne s’évapore pas dans les recoins de l’institution sous prétexte qu’il entend des voix l’appeler par son nom.


Tout est installé, le rond de chaise formé…commence alors le ballet des chassés-croisés : chacun prend place exactement là où il l’a décidé donnant lieu à quelques légères échauffourées très vite recadrées.


Cernée par Germaine et Adolf qui ne peuvent s’empêcher de cancaner, je me cale sur ma chaise, exécute en loucedé quelques respirations pour me calmer en attendant que la séance commence.

Ah, décidément ces deux - là, y’a rien à faire, j’les ai vraiment dans le nez ! Peu importe où je m’assieds, je les vois toujours rappliquer à mes côtés.

Le Docteur Jorge dit qu’il faut que je laisse couler, que ça ne sert à rien de m’énerver et que ça me fait travailler.


Je l’adore ce Docteur Jorge et pour ne rien vous cacher, je crois que je m’en suis amourachée.

Une fois, je me suis lancée, je lui ai avoué…il est si beau et si gentil….Il n’a pas répondu, il a juste souri.

J’ai compris, j’ai pas insisté mais ça ne m’empêche pas de l’aimer.

J’ai appris depuis que c’était normal et que ça s’appelait un transfert… moi j’veux bien mais n’empêche, moi, j’aimerai bien lui plaire !


Ça y est, sa main s’est levée, c’est le signal pour faire silence, la séance va maintenant commencer. Tous les regards tournés vers lui, les blablas se sont taris, l’attention de tous est requise et la bienveillance de mise.


-« Commençons la séance en accueillant Édouard qui rejoint notre groupe. Édouard, la parole est à toi. »

-« Bonjour, je m’appelle Édouard et…….


Petit et râblé, un genre au carré, Édouard se tient droit comme un I, les bras croisés sur la poitrine en guise de bouclier.

La mine grave et le visage fermé, sa bouche disparait sous de grosses bacchantes qu’on dirait cirées.

Ses yeux d’un noir de jais scrutent l’assemblée …quand ils croisent les miens, je me sens déjà rejetée.

Seul le Docteur Jorge semble épargné par cette indifférence larvée.

La cinquantaine déjà bien entamée, le verbe haut accompagné d’une gestuelle appuyée, il se décrit comme un homme aigri, solitaire et aimant peu la vie. Ronchon, bougon et soupe au lait, il prévient dès maintenant qu’il déborde souvent.

Les gens, les autres, l’ennuient à l’exception d’un cercle très réduit.

Une légère arrogance doublée d’une théâtralité étudiée émane de lui à l’insu de son plein gré ! Il se plaint de tout et de rien, le monde qui l’entoure n’est pas à la hauteur de ses attentes, tous des cons, c’est son opinion.

Entendez en sous-texte qu’il n’en fait pas partie, il est au-dessus du lot, ça ne fait pas un pli.

Il affirme, il sait, aucun doute ne semble le traverser sans compter qu’il n’arrive pas à masquer le plaisir qu’il prend à être écouté !!!


Oula, ça va être coton, je le sens !

Molière ne l’aurait pas renié : un misanthrope au comportement passif agressif a fait son entrée.

Je ne sais pas trop si je vais réussir à le supporter mais pour vous dire la vérité et en toute confidentialité, j’ai réagi de la même façon avec chacun d’eux avant de finir par les aimer …un peu!

Le docteur Jorge nous a assez répété qu’ici il n’est pas toléré de juger et que la surface de l’Etre, comme l’iceberg, ne révèle en rien la partie immergée.

Il faut souvent payer un lourd tribu pour se croire protégé.


Comme vous vous en doutez, j’ai moi aussi mes propres aspérités, je ne suis pas là par hasard mais par nécessité. Mais ceci est une autre histoire qu’il sera temps de vous conter plus tard.


16h, déjà…finalement et comme toujours, je n’ai pas vu le temps passer entre écoute flottante émotions et pensées plus ou moins structurées…


Le Docteur Jorge clôt la séance, chacun se lève, se salue sommairement et disparait dans l’escalier.

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